Le processus de création artistique #1

Pour mener un atelier artistique, il n’est pas nécessaire de savoir peindre comme le Tintoret. Il est plutôt indispensable d’être pédagogue, de savoir rester ouvert aux opportunités, aux imprévus, pour savoir jouer avec. Car l’art, c’est un véritable jeu.
 
À mon premier poste, quand on m’a enseigné l’atelier de couleurs végétales que je devais reprendre, le cadre de l’intervenante était très strict. Les enfants devaient tracer l’herbe en bas de la feuille, 6 tiges pour avoir 2 fleurs violettes, 2 fleurs bleues et 2 fleurs roses. Le soleil était en haut à gauche dans le ciel bleu. Quelle angoisse artistique !
 
Je me souviens qu’au cours de cet atelier que j’observais, une petite de Cp était terrifiée de s’apercevoir qu’elle avait tracé 7 tiges de fleurs… Je me suis revue en elle. J’ai trouvé les mots pour dédramatiser la situation (et j’ai apaisé ma torpeur par la même occasion). Quand je me suis réapproprié l’atelier, j’ai toujours laissé les enfants faire ce qu’ils désiraient.
 
Quelle magie de les entendre faire vivre leur dessin, me raconter les histoires qui s’y passent.
Quel bonheur quand ils expriment leur surprise « Et ben je n’aurais pas imaginé dessiner tout ça, moi qui n’avais pas d’idée au départ ».
Quelle émotion quand un enfant surprend son enseignant qui le découvre sous un jour nouveau – car je l’ai moi-même accueilli sans préjugé, ce qui lui a permis de s’épanouir dans la création.
 
Mais cela veut-il dire qu’il n’y a aucun cadre dans mes ateliers ? Non bien sûr. En presque 10 ans, j’ai eu le temps d’expérimenter et trouver la manière de faire. Il faut toujours fixer des contraintes dans un atelier ; des contraintes sur lesquelles s’appuyer pour les respecter ou les franchir délibérément.
 
Les enfants (et les adultes) sont désemparés lorsqu’on leur dit qu’ils peuvent dessiner absolument « tout ce qu’ils veulent, tout est possible ». L’école les a formatés à rentrer dans un moule, on le voit sur les productions accrochées dans les classes dès la maternelle. Peu de place à la créativité, ils font de la reproduction et se noient quand on les fait plonger dans cet océan de liberté.
 
Proposer des utilisations différentes du pinceau pour créer des textures, rebondir sur une tache impromptue pour l’intégrer au dessin, réfléchir ensemble quand un enfant reste vraiment bloqué. Voilà ce que je fais.
Le jour de mon couronnement en tant qu'elfe de la forêt magique en 2011 😉
Je me souviens de cette classe où la maîtresse critiquait les choix créatifs ambitieux et novateurs de ses élèves ; ils allaient à des endroits qu’elle n’aurait jamais imaginés et cela semblait l’angoisser de ne plus maîtriser les productions. Je lui ai fourré une feuille dans les mains pour qu’elle se lance (et laisse les élèves tranquilles). Il s’avéra qu’elle n’avait pas confiance en elle – elle a même essuyé quelques larmes en exprimant sa peur. Elle n’accepta de se lancer qu’à condition que je le fasse également… elle avait peur du jugement. Du mien et de celui de ses élèves probablement. Quel rayonnement sur son visage lorsqu’elle s’est enfin laissée aller.
 
Alors quand je vois qu’ailleurs, pour ce même atelier, on demande aux enfants de maternelle de colorier des cercles sans dépasser… ça m’angoisse. Ça m’horripile. Ça me met hors de moi. Je considère ça comme de la maltraitance artistique. J’ai de la peine pour ces enfants, qui encore une fois n’auront pas l’opportunité d’expérimenter de sortir du cadre – et de la peine pour ceux qui sortiront du cadre malgré tout et à qui cela sera reproché.
 

Je suis intervenante extérieure, je ne fais pas partie du cadre. Avec mes plumes dans les cheveux et mes habits multicolores, je suis une invitation à la transgression des règles, si bénéfique à tout un chacun. Et c’est encore plus plaisant lorsque l’enseignant prend part au jeu également !

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