Pour mener un atelier artistique, il n’est pas nécessaire de savoir peindre comme le Tintoret. Il est plutôt indispensable d’être pédagogue, de savoir rester ouvert aux opportunités, aux imprévus, pour savoir jouer avec. Car l’art, c’est un véritable jeu.
À mon premier poste, quand on m’a enseigné l’atelier de couleurs végétales que je devais reprendre, le cadre de l’intervenante était très strict. Les enfants devaient tracer l’herbe en bas de la feuille, 6 tiges pour avoir 2 fleurs violettes, 2 fleurs bleues et 2 fleurs roses. Le soleil était en haut à gauche dans le ciel bleu. Quelle angoisse artistique !
Je me souviens qu’au cours de cet atelier que j’observais, une petite de Cp était terrifiée de s’apercevoir qu’elle avait tracé 7 tiges de fleurs… Je me suis revue en elle. J’ai trouvé les mots pour dédramatiser la situation (et j’ai apaisé ma torpeur par la même occasion). Quand je me suis réapproprié l’atelier, j’ai toujours laissé les enfants faire ce qu’ils désiraient.
Quelle magie de les entendre faire vivre leur dessin, me raconter les histoires qui s’y passent.
Quel bonheur quand ils expriment leur surprise « Et ben je n’aurais pas imaginé dessiner tout ça, moi qui n’avais pas d’idée au départ ».
Quelle émotion quand un enfant surprend son enseignant qui le découvre sous un jour nouveau – car je l’ai moi-même accueilli sans préjugé, ce qui lui a permis de s’épanouir dans la création.
Mais cela veut-il dire qu’il n’y a aucun cadre dans mes ateliers ? Non bien sûr. En presque 10 ans, j’ai eu le temps d’expérimenter et trouver la manière de faire. Il faut toujours fixer des contraintes dans un atelier ; des contraintes sur lesquelles s’appuyer pour les respecter ou les franchir délibérément.
Les enfants (et les adultes) sont désemparés lorsqu’on leur dit qu’ils peuvent dessiner absolument « tout ce qu’ils veulent, tout est possible ». L’école les a formatés à rentrer dans un moule, on le voit sur les productions accrochées dans les classes dès la maternelle. Peu de place à la créativité, ils font de la reproduction et se noient quand on les fait plonger dans cet océan de liberté.
Proposer des utilisations différentes du pinceau pour créer des textures, rebondir sur une tache impromptue pour l’intégrer au dessin, réfléchir ensemble quand un enfant reste vraiment bloqué. Voilà ce que je fais.
Je me souviens de cette classe où la maîtresse critiquait les choix créatifs ambitieux et novateurs de ses élèves ; ils allaient à des endroits qu’elle n’aurait jamais imaginés et cela semblait l’angoisser de ne plus maîtriser les productions. Je lui ai fourré une feuille dans les mains pour qu’elle se lance (et laisse les élèves tranquilles). Il s’avéra qu’elle n’avait pas confiance en elle – elle a même essuyé quelques larmes en exprimant sa peur. Elle n’accepta de se lancer qu’à condition que je le fasse également… elle avait peur du jugement. Du mien et de celui de ses élèves probablement. Quel rayonnement sur son visage lorsqu’elle s’est enfin laissée aller.
Alors quand je vois qu’ailleurs, pour ce même atelier, on demande aux enfants de maternelle de colorier des cercles sans dépasser… ça m’angoisse. Ça m’horripile. Ça me met hors de moi. Je considère ça comme de la maltraitance artistique. J’ai de la peine pour ces enfants, qui encore une fois n’auront pas l’opportunité d’expérimenter de sortir du cadre – et de la peine pour ceux qui sortiront du cadre malgré tout et à qui cela sera reproché.
Bonjour Mélanie,
J’ai adoré votre article sur le processus de création artistique, dans le lequel je me suis tant reconnue ! J’ai, moi aussi, opposé de la résistance aux consignes que je ne comprenais pas en Arts Plastiques, par exemple, et je l’ai parfois payé de notes ou de commentaires passables au collège puis au lycée. Mais je ne me suis pas rendue pour autant et, lorsque j’ai dû faire quelques concessions pour assurer ma mention sur mon bulletin de notes, ce n’était qu’en apparence, je n’en pensais pas moins au plus profond de moi !
Si la règle est utile et nécessaire dans notre évolution humaine, physique, intellectuelle et sociale, elle doit être dépassée dans les domaines de l’art, de la spiritualité et de la philosophie notamment. La créativité est par définition ce qui se passe au-delà de la porte grillagée de la règle, qui s’impose à tous comme un modèle. Mais où est-il écrit que ce modèle devrait être limitant ?!
Les plus grands génies -même en sciences- n’ont-ils pas remis en cause les théories classiques et les règles établies ?
Aujourd’hui, je résiste encore à la morosité ambiante de mes collègues de travail et de mes concitoyens. Je m’habille et m’entoure de plein de couleurs, je loue les beautés de la nature, et de mon environnement en général, au lieu de m’en plaindre… C’est une philosophie de vie qui illumine mon être et me permet de vivre positivement. Je suis heureuse ainsi et j’ai pu constater que c’est souvent communicatif. Certains m’envient même ce caractère… C’est vous dire à quel point je vous comprends !
J’ai eu l’occasion de participer à deux de vos visites guidées cette année, et j’apprécie beaucoup votre approche du patrimoine, de la culture et de l’écriture… A bientôt pour de nouvelles escapades, et merci pour votre partage !
Merci pour ce riche partage Véronique ! et au plaisir de se recroiser en 2025 🙂