A l’école, j’ai toujours beaucoup dérangé mes enseignants.
« Tu te poses trop de questions » était la réponse que je recevais très souvent. Je bloquais parfois sur des choses présentées comme simples et pour lesquelles il me semblait qu’il manquait des explications.
« Tu te poses trop de questions, prends ce que je te dis pour acquis ». Malheureusement, ce mécanisme mental m’est absolument impossible. Soit je comprends complètement, soit je ne comprends pas du tout. Je suis incapable d’apprendre par cœur. Par contre une fois que j’ai compris, je retiens parfaitement.
J’ai ainsi bloqué sur les mathématiques pendant 2 ans au lycée, avec des enseignants qui ne voulaient pas expliquer pourquoi a + b = c. C’était comme ça, c’est tout. Et puis en Terminale, en 4h de cours, j’ai compris 2 ans de lacune, car l’enseignant m’a expliqué pourquoi a + b = c, en dessinant un clown au tableau (évidemment ce n’était pas a + b = c, mais il a vraiment dessiné un clown au tableau pour sa démonstration, et c’était brillant). Et de 6 de moyenne, je suis passée à 18 – j’ai passé mon épreuve de maths en bac S en 2h30 sur les 4h allouées et ça coulait comme de l’eau de source.
« C’est écrit comme ça dans le livre d’histoire, récite-le ». Je détestais l’histoire jusqu’en 3e , où j’ai alors eu un enseignant qui mettait les sources en perspective. Il remettait de l’humain au milieu des dates et des faits.
« 2 décembre 1851 : coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte ».Une phrase dans un livre d’histoire – aujourd’hui une sortie de 2h sur cet événement dans le Var. Ce n’était pas qu’une phrase, il y avait bien plus à comprendre.
« Tu n’as pas besoin de comprendre le moteur à explosion pour conduire une voiture. Pour le reste c’est pareil. ». C’est vrai ! Mais c’est parce que la mécanique m’intéresse très peu. Ce qui me passionne, ce sont les sciences humaines qui justement, ne répondent à aucun a + b = c. Il y a tellement de nuances et de mises en perspectives possibles. Pourquoi l’école ne nous apprend pas le sens critique ?
Je ne jette pas la pierre aux enseignants qui ne pourront jamais tout expliquer en détails. Mais pourquoi ne pas nous apprendre à chercher par nous-mêmes les informations sur un sujet qui nous interroge profondément ? Au lieu d’être des encyclopédies, ils deviendraient des semeurs de graines, avec l’incertitude de savoir lesquelles germeront chez chacun.
Je suis profondément reconnaissante d’avoir eu quelques enseignants qui ont adopté cette pédagogie. Grâce à eux, je n’ai jamais arrêté de me poser « trop de questions ».
C’est parfois épuisant en effet. Pour préparer une sortie de 2h, je vais travailler 50h sur les sujets et vous en ressortir un simple vingtième de mes connaissances. Bien d’autres ne s’embêtent pas, et applique le fameux « C’est écrit comme ça dans le livre d’histoire, récite-le ». C’est pourtant ce mécanisme qui me permet de vous offrir de la transversalité dans mon discours et de ne pas prendre pour acquis ce que l’on me dit ou ce que je lis. Je cherche toujours à aller plus loin. Et si vous me posez une question à laquelle je ne sais pas répondre, bien loin de me vexer, je pars chercher dénouer le nœud que je n’avais pas décelé !
Le revers de la médaille, ce sont des prises de tête sur des détails qui paraissent tellement insignifiants aux yeux de certains. Des phases de découragement, l’impression de ne pas pouvoir être à la hauteur (de mes propres attentes). Je suis lente dans la mise en action, car j’attends de tout maîtriser pour me lancer – alors que bien d’autres s’auto-congratulent d’un rien et racontent des vérités tellement tronquées que ça s’est fait à coup de tronçonneuse.
Ce qui m’inquiète aujourd’hui, c’est quand j’interviens à l’école et que presque plus aucun enfant ne me pose « trop de questions » (et quand c’est le cas, souvent l’enseignant se dépêche de lui couper la parole et de s’excuser pour le dérangement). Mais n’est-ce pas en écoutant les questions des autres que l’on découvre qu’un même sujet ne nous interpelle pas de la même manière ? Quelle belle opportunité de pouvoir se dire « wouah, je n’avais pas vu ça sous cet angle, et cette question mérite réponse ! ».
Ne serait-ce pas la clé pour apprendre la diversité des schémas de pensées ? des références culturelles ? au lieu de programmer 2h d’éducation civique par semaine, pourquoi n’apprend-on pas à devenir citoyen-penseur-du-monde à chaque seconde ?
Encouragez vos enfants à poser trop de questions. Et s’ils n’en posent pas, trouvez le sujet où ils s’en poseront – il y en a forcément un. Multipliez les expériences, les rencontres. Le déclic vient parfois d’un événement complètement anodin !
Développer le sens critique , apprendre à apprendre et apprendre à réfléchir c’est exactement ça le travail d’un prof !
C’est toujours ce que je me suis efforcée de faire .
Bonne année
A . Laura
On a beaucoup apprécié ce petit topo et ces judicieuses remarques sur l’enseignement et la façon d’aborder la transmission des savoirs. Effectivement la curiosité n’est pas toujours un vilain défaut quand on l’utilise à bon escient.
De plus, ce n’est pas la première fois que nous nous régalons, Mélanie, à ces liens que vous proposez, en attendant que cela reprenne en chair et en os.
Bonne suite pour 2021 et à bientôt !